COTTE Stéphane

L’intérêt pour la notion de forces morales a d’abord été suscité par son retour dans l’actualité lié à la nécessaire anticipation d’une hypothèse d’engagement majeur prônée par les militaires français à partir de 2016 (Etat-major de l’armée de Terre, Action terrestre future, septembre 2016). Cette perspective s’est depuis concrétisée avec le retour de la guerre de haute intensité en Europe en février 2022. Les forces morales ukrainiennes, faites de résilience, de détermination et d’un patriotisme renforcé, semblent s’être démultipliées à mesure que les soldats russes avançaient sur le territoire national et que l’aide occidentale se faisait plus pesante. Les forces morales sont dès lors devenir un véritable champ de recherches pluridisciplinaires au sein des armées françaises (neurosciences, sociologie, pédagogie, tactique…).
La présente étude se propose d’apporter une contribution historique au savoir commun sur les forces morales. A cet égard, il paraît pertinent de cerner la perception et l’usage que les Français ont pu avoir de cette notion définie et modelée de l’Antiquité au début du 20^e siècle, durant cette période si particulière, intercalaire entre deux déflagrations majeures dans lesquelles la France fut directement impliquée. Il s’agit d’abord d’établir le degré d’apanage de cette notion. Est-ce un objet strictement militaire, une arme comme la force matérielle qui permet de prendre l’ascendant sur un adversaire ? Ou est-ce un concept à géométrie plus variable, aussi bien politique, patriotique que religieux ? Une fois ce cadre étant défini, il s’agira de comprendre quelle perception en ont les utilisateurs et acteurs des forces morales de l’entre-deux-guerres par le biais de la presse (expression de l’opinion publique), les débats parlementaires (représentation publique), les directives scolaires (instruction publique) et les écrits militaires (prolongement en armes de la société). La même analyse devra être conduite sur son antinomie : les faiblesses morales ou l’absence de force morale. Enfin, il faudra identifier les leviers envisagés à l’époque pour produire, maintenir ou renforcer les forces morales en France.