Une contribution à l'histoire du gaullisme militant de la IVe et de la Ve République

Nom du garant ou garante
LACHAISE Bernard
Date de soutenance
Membres du jury CRULH
Membres du jury hors CRULH
RICHARD Gilles
DARD Olivier
BERNARD Matthias
LAURENT Sébastien
Lieu de la soutenance
Bordeaux

Ce dossier d'HDR, qui souligne un double élargissement chronologique (de la IIIe République à la Ve République) et thématique (des organisations de jeunesse et de l'apprentissage politique à la violence militante) de nos champs de recherche, s'inscrit dans le cadre collectif d’équipes (ANR Gaulhore dirigée par B.Lachaise) et de laboratoires (CRULH de l’Université de Lorraine). Il témoigne de l’attention portée aux questions historiographiques et du souci d'intégrer les apports d’autres sciences sociales (anthropologie, sociologie, sciences politiques, etc…) dans un effort d’interdisciplinarité. L’ensemble révèle la focale mise sur les organisations périphériques (antennes cadettes, groupes parlementaires, service d’ordre) dont l’étude apporte beaucoup sur la culture politique et le fonctionnement militant du courant en question. Notamment dans le cas du gaullisme de la Ve République gaullienne et pompidolienne, une famille politique qui existe moins par son pivot partidaire que par ses satellites. L’essentiel du dossier porte sur le gaullisme militant de la Ve République. Il participe d’une dynamique de renouvellement historiographique, passant par l’intégration de nouveaux concepts (génération, réseaux, héritage, culture politique, entourage) et de nouvelles méthodes (prosopographie), par le refus d’approches globalisantes au profit d’une prise en compte de la pluralité de la famille gaulliste selon les espaces, époques et milieux socio-professionnels. Le dossier de publications témoigne de ce souci de varier les approches, les travaux portent sur l'action gouvernementale (Robert Boulin ministre des relations avec le Parlement), l’action parlementaire (le travail de lobbying face à la loi Faure), des figures individuelles (Messmer ou Chaban), des figures collectives (le groupe parlementaire de l’UD.Ve en mai 68), le parti (les mutations de l’UDR avant et après la présidentielle de 1974), les satellites (CDR, SAC, UJP), le poids des courants (gaullisme d’ordre, gaullistes de gauche), les réseaux (les réseaux Foccart dans leur phase de construction sous la IVe République), les crises du gaullisme (la déchirure algérienne, mai 68), le visuel (l’image de de Gaulle défilant sur les Champs Élysées le 26 août 1944), enfin les questions doctrinales (le soutien à l’école privée et l’enjeu confessionnel sous le RPF, la régionalisation sous l’UNR).

Depuis quelques années, la problématique de la violence politique et de sa gestion partidaire, notamment via les services d’ordre militants, structure notre réflexion. Il s’agit de prendre en compte de manière globale les acteurs, les causes, les espaces, les perceptions, la gestion et l’évolution de ce phénomène. Nous montrons que des formations ont entretenu avec la violence une relation forte, banalisant voir valorisant des formes de violence au point de les ériger parfois en pratiques militantes. C’est bien sûr le fait des extrêmes mais d’autres formations ont pu entretenir dans certains cas une relation trouble avec la tension où s’exprime une part de leur identité. L’exploration d’un maquis de micro-violences (meetings contradictoires chahutés, rixes entre colleurs d’affiches, permanences saccagées, expéditions punitives) permet d’appréhender ce phénomène. Il faut aussi, dans une logique multi-scalaire, distinguer à une échelle locale des espaces réfractaires à la civilisation des mœurs (comme la Provence) où la tension militante reflète une forme de culture locale. On peut également apprécier dans une comparaison avec l’étranger ce qui apparaît comme une relative exception française, à savoir cette « violence simulée » évoquée par Serge Berstein pour l’entre-deux-guerres et qu’on retrouverait dans les années 68. Notre intérêt pour les services d’ordre s’inscrit dans cette perspective. Loin d’une simple chronique de bruit et de fureur (celle des accrochages entre militants rugueux), une approche anthropologique par le bas des SO permet d’apprécier ce que disent ces appareils de sécurité sur le parti dont ils dépendent et même de manière plus générale sur la vie politique et socio-culturelle du pays où ils évoluent. Un mémoire inédit de 482 p (hors annexes) intitulé « Violence politique et gestion militante de cette violence, une étude de cas : l’évolution du service d’ordre gaulliste du RPF à l’UDR (avril 1947-juin 1968), du modèle militaire au modèle policier », entend valider cette hypothèse initiale. Nous montrons que le RPF met en place fin 1947-début 1948, face à l’agressivité communiste, un service d’ordre très professionnel (qui maîtrise un savoir-faire en matière de gestion des foules et des salles). Le modèle est paramilitaire par le niveau d’effectif, la présence résiduelle d’armes, l’existence d’une organisation parallèle clandestine, la surreprésentation des militaires y compris d’active, la structuration et le fonctionnement autoritaire. Ce haut degré de violence et ce modèle paramilitaire s’expliquent par le double héritage du choc entre les ligues et la gauche des années 30 et de la brutalisation des sociétés par la guerre (selon le schéma mossien), par le contexte tendu de la Guerre froide et des conflits coloniaux, par l’influence de modes de propagande accidentogènes (le meeting contradictoire), par une configuration politique qui crée la tension (des partis de masse exclus du système), par des pratiques policières inadaptées en matière de maintien de l’ordre, mais aussi par un système de représentations qui exalte dans cette sortie de guerre une virilité agressive (une lecture genrée de ces affrontements militants paraît possible). L’héritage guerrier reste déterminant: ces gros bras passés par les maquis, les réseaux, le BCRA, projettent dans la compétition politique des réflexes de clandestinité et d’activisme. A partir du début des années 1960, il y a un changement de paradigme dans le rapport à la violence militante. Le SO passe à un modèle policier plus apaisé. Il y a démilitarisation en matière d’effectifs, de circulation d’armes et de clandestinité, même si le fonctionnement reste verticalisé et si les pratiques de surveillance politique perdurent ici et là. Le changement de contexte est décisif : le SO est passé d’un cadre oppositionnel de Guerre froide à une configuration moins tendue, celui du service d’ordre du parti au pouvoir, dans un environnement international apaisé. L’évolution des modes de propagande joue également (émergence de nouveaux médias médiatisant davantage l’affrontement) tout comme la diffusion de nouvelles sensibilités dévalorisant les comportements agressifs, sans compter le renoncement global du PCF à la violence comme registre normalisée d’action politique. Dès la fin 1959, la rapide décrue de la violence militante (affaire algérienne exceptée) permet au SAC de se cantonner dans une posture dissuasive, ce qui n’empêche pas le discours critique de s’amplifier autour des polices parallèles dans la mesure où celui-ci vise fondamentalement le pouvoir gaulliste.