Le patrimoine militaire des villes du Grand Est du XVIe siècle à nos jours
Placé sous la direction de Laurent Jalabert et Camille Crunchant (Université de Lorraine, CRULH), ce colloque, qui a pour thème « Le patrimoine militaire des villes (du XVIe siècle à nos jours) », a été organisé dans le cadre du projet Empreinte militaire dans les provinces de l'Est.
Depuis quelques années, chercheurs et acteurs de la vie publique font preuve d'un intérêt croissant pour le « patrimoine militaire », dans le contexte de la restructuration des Armées françaises. On sait que cette notion de « patrimoine militaire » demande encore à être précisée et qu’elle dépasse largement le patrimoine fortifié et plus généralement le patrimoine des guerres. Jusqu’à présent, l’objet « patrimoine militaire » a certes donné lieu à des rencontres mais qui ont porté davantage sur des aspects à la fois guerriers et techniques à travers l’étude des fortifications modernes et contemporaines. Pourtant, des travaux comme ceux de François Dallemagne sur les casernes, ainsi que ceux d’historiens de l’art appellent à élargir le prisme de l’étude du patrimoine militaire.
De fait, les villes actuelles possèdent un riche patrimoine bâti, lié à la présence de l’armée et de ses garnisons sur plusieurs décennies et souvent plusieurs siècles. À compter de l’essor de l’État moderne et du développement des armées permanentes, la question du développement d’infrastructures militaires se pose tout particulièrement dans les régions frontalières. C’est en effet dans les « villes-frontières » que se mettent en place les garnisons les plus imposantes, allant de quelques centaines à plusieurs milliers d’individus, et parfois de manière pérenne si l’on se place dans le cadre de l’essor de la conscription sous la IIIe République pour les villes de l’Est de la France. Les garnisons de Nancy et de Metz connaissent un important développement. Une ville comme Saint-Mihiel voit ses effectifs militaires passer d’une unique unité de cavalerie au XVIIIe siècle à plus de 8000 hommes avant la Grande Guerre. Un tel développement n’a pu qu’avoir un impact sur le tissu et le bâti de ces villes.
Le premier enjeu qui émerge nettement au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle est celui du logement des militaires et de leur « encasernement ». Cette question est au cœur de bien des débats municipaux tout au long de la période de construction des casernes, du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle, avec une résurgence après 1945, à l’occasion de l’implantation des unités OTAN. Naturellement, de telles implantations impactent fortement l’espace urbain, à la fois par leur emprise spatiale mais aussi par la forte symbolique des lieux. Ces phénomènes doivent être mieux étudiés, tant du point de vue architectural que de la modernité des installations (théories hygiénistes, contraintes sanitaires, etc…).
Le deuxième enjeu est celui des lieux de commandement et de détente, comme les Cercles militaires. Les espaces de loisir et d’entraînement peuvent être envisagés, comme les manèges à chevaux, les aires sportives - dont certains sont devenus pérennes et se sont parfaitement insérés dans l’espace actuel des villes.
Le troisième enjeu est celui de ce qu’il est convenu d’appeler anachroniquement le « soutien logistique », que ce soit lorsque les soldats sont en garnison, ou pendant les opérations. On connaît les besoins de ces armées et aussi souvent les modalités de ravitaillement, allant de l’appel d’offre par marché public à la réquisition ; on connaît moins les infrastructures nécessaires et leur emprise dans l’espace des villes. Ainsi sont mis en place des écuries, des magasins à fourrage, à denrées, à poudre, etc… De même, des infrastructures de production sont développées, des arsenaux d’ancien régime aux manufactures d’armes, comme celle de Saint-Étienne.
Au-delà des bâtiments eux-mêmes, l’empreinte de l’armée dans l’espace urbain peut se lire à travers des marqueurs mémoriels (noms de rues, monuments, statues) qui sont devenus, pour certains, des éléments patrimoniaux. Les espaces de manifestation de la présence militaire peuvent être aussi interrogés, comme l’utilisation des avenues, des places et de certains bâtiments de la ville pour des cérémonies, par exemple. Ce colloque sera l’occasion de travailler sur la forme même des infrastructures et bâtiments militaires, leur mise en œuvre, ainsi que sur leur devenir. Il s’agit d’aborder le patrimoine militaire des villes tant sous l’angle du bâti lui-même, dans ses expressions historiques et architecturales, que dans la perspective de son impact sur l’aire urbaine et dans les mémoires. Ainsi, on pourra envisager de travailler sur les casernes, les palais de gouverneurs, les arsenaux, mais aussi sur la structure même des quartiers de ces villes de Lorraine et du Grand-Est.
L’objectif était d’observer le développement d’une forme particulière de construction, tout en s’interrogeant sur les conditions et l’impact de sa patrimonialisation. En arrière-plan des études, qu’elles soient historiques, spatiales, architecturales ou mémorielles, c’est à cette forme particulière de patrimoine appelé génériquement « militaire » qu’il s’est agit de s’intéresser.