La thèse intitulée « Tambov dans l’Histoire et la Mémoire de l’Alsace-Moselle de 1943 à nos jours » vise à apporter des éléments inexplorés sur l’arrivée des prisonniers de guerre français dans les camps soviétiques, en explicitant leur fonctionnement, à travers une écriture plurielle, évocatrice de destins individuels vécus par des enrôlés de force, appelés aussi Malgré-Nous. Tambov. Un nom prédestiné, une histoire mouvementée, une mémoire émaillée de drames et de déchirures. Avant-poste de la Moscovie planté voilà six siècles pour freiner les incursions tribales, grenier à blé favorisé par sa prolifique terre noire, cité-relégation au temps des grognards défaits de Napoléon, Tambov la verte devenue chef-lieu insurrectionnel sous la Terreur rouge, cité laissée obscure post-guerre avec sa « termitière » inhospitalière et funeste dans la forêt de Rada, Tambov est une ville aux deux syllabes qui résonnent comme un roulement de tambour aux rythmes lugubres et lancinants et qui retentissent encore dans la Mémoire de ceux qui acceptent la puissance de l’évocation. À partir des archives d’Etat inédites provenant du Centre des Archives socioculturelles de la région de Tambov, -appelé GASPITO- qui évoquent le destin des masses humaines sous le joug stalinien, face aux interviews des survivants du camp n°188 et des camps assimilés se remémorant leurs avatars, vis-à-vis des contacts menés auprès de leur descendance et du combat mémoriel entrepris par les deux groupements d’Anciens de Tambov et l’association « Pèlerinage Tambov », quelles places occupent Tambov et plus largement la captivité soviétique dans l’histoire, la mémoire, l’imaginaire collectif de toute une région, l’Alsace et de la Moselle ? Nos recherches s'étant effectuées dans de nombreux dépôts d’archives, le travail de prospection nous a permis de produire des statistiques plus fiables, mais aussi de nous questionner sur les enjeux mémoriels de l’identité alsacienne et mosellane contemporaine. La confrontation des souvenirs des multiples rescapés qui témoignent de leurs dures conditions de vie se heurte aux comptes rendus souvent faussés du chef de camp n° 188, Ioussitchev, plus soucieux de « plaire » aux autorités de tutelle que de décrire la vérité. De nos jours, les voyages mémoriels encadrés par les édiles russes sur le site de Tambov présentent le camp de manière presque idyllique, ce qui donne une image plutôt erronée de ce qui s’y est réellement passé. L’évocation de cette dolce vita occulte évidemment les milliers de morts occasionnés par les maladies, la sous-alimentation chronique, le labeur éreintant, le dressage idéologique, l’insalubrité des lieux, la démoralisation éprouvée par les internés et le non-retour pour des milliers d’entre eux. Au regard de tous ces prismes, Tambov est-il devenu le nom emblématique de l'incorporation de force des Alsacien-Mosellans ? Pourquoi et comment ? Par l’importance numérique du contingent, par la concentration de toutes les souffrances, symbole de l'injustice qu'ont subie les Malgré-Nous coincés entre deux totalitarismes, par un certain abandon de la part des autorités françaises sur fond de début de guerre froide, mais aussi par le travail de mémoire inlassable des associations d’Anciens de Tambov, on peut le penser.