En 1914-1918, les faits ont apporté un démenti cinglant aux prévisions. Au lieu d’une guerre courte, décidée en une ou deux batailles par les seules forces terrestres, les belligérants se sont enlisés dans une lutte longue et coûteuse, que les Alliés finirent par remporter en étranglant l’économie de guerre de leur ennemi et en lui imposant une succession de batailles qui usèrent ses forces. Le cours inattendu pris par les événements amène à s’interroger sur les représentations de la guerre qui avaient cours à l’époque, sur la manière dont elles ont influencé les opérations et réciproquement, ainsi que sur le rôle qu’a joué le haut commandement dans ces relations. Étudier les opérations sous un tel angle présente d’autant plus d’intérêt que le sujet a été peu traité et que la guerre est l’un des domaines où le décalage entre réalité et représentations est le plus marqué. Ce décalage a pris une ampleur inconnue avec la Grande Guerre. En conséquence, le haut commandement a bientôt été aux prises avec des difficultés d’autant plus grandes qu’il dépendait du concours d’acteurs multiples, avec les représentations desquels il devait composer. La question se pose donc de savoir si la difficile évolution des représentations de la guerre, dans un sens conforme à une conduite des opérations efficace, s’est faite malgré le haut commandement, sous la pression des événements, ou si ce dernier n’y a malgré tout pas concouru. L’impression prévaut que le haut commandement a longtemps été à la remorque des événements et qu’il a fallu des échecs retentissants et l’action du pouvoir politique pour qu’il soit renouvelé avec ses représentations. Ces impressions sont cependant trompeuses car elles reposent sur une confusion entre GQG et haut commandement, dont le GQG ne représentait qu’une composante. Mis fréquemment à l’écart par ce dernier, les commandants d’armées et de groupes d’armée contribuèrent à faire évoluer la situation, même s’ils agirent souvent par des voies détournées.