Saint Nicolas et les autres traditions. Légendaires et sociétés en Occident

Colloque/Journée d'étude
Nancy
Saint Nicolas

Rappelons qu’avec le site et l’objet sacré, le légendaire constitue pour Alphonse Dupront les « coordonnées identitaires » d’un sanctuaire : oral, puis écrit, le récit rapporte l’histoire du lieu, en énonce la spécialité et nourrit la prière des fidèles venus s’y recueillir. Legenda (ce qui doit être lu, à l’office liturgique), le légendaire, qui répond à des contraintes formelles précises, a pu, au fil des siècles, connaître de multiples versions et des développements fleuris, parfois à caractère mythique, autour d’un épisode de la vie du Christ, de la Vierge ou d’un saint. Souvent situés en Orient – comme à Myre pour saint Nicolas –, espace fabuleux et pourvoyeur de sacralités, en référence aux générations apostoliques ou à l’épopée des croisades, ces récits se déroulent en des temps mal fixés, dans un monde « plein », saturé de merveilleux. Pétris de références scripturaires et culturelles les plus diverses, ils s’enrichissent au fil des générations par l’adjonction de nouveaux épisodes miraculeux qui confirment la réputation du lieu et de celui qui l’habite.

L’analyse des légendaires pourra s’articuler autour des trois thèmes suivants.

 
1- La genèse des légendaires

Différents procédés, familiers aux linguistes et philologues, permettent de mieux cerner les milieux d’où proviennent les légendaires : identification des sources du texte ; mise au jour des mécanismes d’intertextualité dans son écriture ; étude du vocabulaire et du style ; classement des thèmes retenus. Soulignons que certaines périodes se révèlent plus propices que d’autres à la mutation des légendaires. À cet égard, on citera le XIIIe siècle, alors que se constituent des collections narratives à l’usage des prédicateurs (recueils d’exempla et corpus de Vies de saints abrégées), la seconde moitié du XVe siècle, temps de reconstruction, y compris de la mémoire, ou encore le début du XVIIe siècle, dans le contexte de la Réforme catholique. À l’égal des Vies de saints, les récits légendaires se présentent en effet comme des lieux privilégiés de réécriture : les déplacements, adjonctions mais aussi retraits, auxquels ils ont donné lieu, portés par les attentes de la culture contemporaine, sont significatifs de la fonction qu’on entend leur voir jouer, comme l’adjonction de l’épisode du saloir aux trois enfants faisant de saint Nicolas le patron des enfants.

 2- La diffusion des légendaires

Elle s’opère sur les supports les plus variés. Si la copie manuscrite tend à être remplacée à partir de la seconde moitié du XVe siècle par les bois gravés, puis l’imprimerie, elle ne doit faire oublier les représentations iconographiques sur des vitraux, des ensembles peints ou des gravures. Les livrets de pèlerinage, qui combinent texte et image, permettent de s’interroger sur l’évolution concomitante des deux discours, celui de l’écrit et celui de la représentation figurée. Un même récit peut également faire l’objet d’adaptations à destination de publics différents, tels, à l’époque moderne, celui des lettrés et celui que touche, par exemple, la Bibliothèque bleue de Troyes : parfois rédigées par un même auteur, celles-ci révèlent l’horizon d’attente des lecteurs.

 3- La réception des légendaires

Les légendaires ont été captés par les populations en fonction de leurs besoins d’intelligence : l’histoire de leur réception est donc riche d’enseignements sur ces phénomènes d’appropriation et d’inventivité herméneutique.

Ainsi, saint Nicolas est invoqué dès le Moyen Âge par les prisonniers car il est réputé avoir libéré des Musulmans le sire Cunon de Réchicourt au XIIe siècle par un transport au loin l’amenant d’Orient à Port, dont les rites actuels de la basilique Saint-Nicolas se font l’écho ; puis, au XVIIe siècle, les artisans de la réforme catholique lui font encore appel, cette fois non pour demander un miracle mais pour convertir leur cœur.

Un livre de pèlerinage peut comporter des annotations manuscrites de la part d’un lecteur qui, marqué par la culture des Lumières ou le positivisme, réagit à une version jugée trop crédule et trop superstitieuse du légendaire.

De même, un saint en vient à rassembler toute une région, dont il devient le symbole identitaire et le fédérateur, comme saint Nicolas en Lorraine : associé au bonheur de la remise des cadeaux aux enfants, il est spécialement vénéré dans le grand sanctuaire de Saint-Nicolas-de-Port.

Autant d’éléments qui convaincront que les légendaires constituent un véritable objet d’histoire, se faisant les reflets de sensibilités et d’identités auxquelles, en retour, ils ont contribué à donner chair.