Charles V de Lorraine ou la quête de l'état (1643-1690)

Nom du garant ou garante
SIMIZ Stefano
Date de soutenance
Membres du jury hors CRULH
CHALINE Olivier
BELY Lucien
DUHAMELLE Christophe
TOTH Ferenc
Lieu de la soutenance
Nantes

Depuis plus des années, il y a eu un retour à l’honneur pour la biographie historique. Ce champ de recherche, longtemps délaissé dans le contexte de la Nouvelle histoire, est à présent totalement assumé dans le monde universitaire et la présente étude s’insère bien dans cette dynamique. Dans une lecture superficielle du XVIIe siècle, aborder l’histoire d’un duc de Lorraine pourrait apparaître presque anecdotique mais il n’en est rien : s’attacher à l’histoire de Charles V de Lorraine, c’est s’ouvrir pleinement à l’histoire des relations entre France-Empire-Habsbourg, c’est relire l’histoire de la frontière nord-est du royaume de France et aussi chercher à mieux comprendre la place d’un « État intermédiaire », d’un « pays d’entre-deux » - comme le veut la formule consacrée - dans le contexte du développement de l’État moderne et de nouveaux équilibres géopolitiques.

Le « règne » de Charles V - le duc sans duchés – constitue bien une porte d’entrée particulière dans l’histoire lorraine, française et aussi germanique. Il est l’héritier politique de Charles IV (1604-1675) qui a connu bien des difficultés avec la France en raison de ses choix politiques et d’une personnalité instable. Comme l’ont montré les travaux de Marie-Catherine Vignal-Souleyreau, Charles IV a largement ouvert la porte aux prétentions territoriales françaises : Richelieu et Louis XIII ont engagé une politique que Louis XIV a cherché à pousser à son terme. Or, malgré ses désirs de régler définitivement la question lorraine et d’assurer sa frontière militaire, il a dû compter avec les réalités du paysage politique de la seconde moitié du XVIIe siècle : une Espagne certes affaiblie mais qui ne néglige pas de soutenir un État lorrain si proche des Pays-Bas espagnols ; un Empire certes peu à même de peser réellement sur la politique française mais dirigé par les Habsbourg d’Autriche soucieux de conserver un État « tampon » et aussi capable d’occasionner une gêne pour la France ; des puissances maritimes, Angleterre et Provinces-Unies peu enclines à consacrer la disparition de l’État lorrain et la volonté hégémonique française ; enfin, une personnalité – Charles de Lorraine – qui n’était pas prêt à se contenter d’honneurs concédés par Louis XIV contre la perte de ses États. Nous retrouvons ici l’importance du rôle de l’individu en histoire lorsqu’il est en capacité de peser sur les événements. Charles V a été ce duc qui a passé son existence à lutter avec Charles IV, son oncle, pour une reconnaissance pleine de sa légitimité, avec Louis XIV pour retrouver des États usurpés.

Les apports de la présente recherche sont de plusieurs ordres. Il s’agit bien évidemment d’une approche biographique dans un paysage bibliographique aride. En effet, il n’existe que peu de biographies des ducs de Lorraine, inégales et surtout délaissant totalement la plupart des règnes. Charles V a donné lieu à une petite biographie en langue française (Stéphane Gaber, 1986) et à deux autres en allemand (Paul Wentzcke, 1943 et Hans Urbanski, 1983), ces dernières mettant principalement l’accent sur les aspects militaires de la vie de Charles V, le « libérateur de Vienne ». L’étude présentée s’est dès lors attachée à mieux aborder la question de l’univers familial de Charles de Lorraine comme étant une donnée essentielle de son avenir politique. De même, si nous avons travaillé sur le rôle militaire de Charles V, c’est davantage sur son image de soldat, son positionnement parmi les princes d’Empire et sur ses pratiques de commandements que nous avons porté l’accent, bien plus que sur le suivi de ses campagnes. L’approche biographique choisie est bien plus politique que militaire et c’est là un autre apport. Il ne s’agissait pas tant de faire un « Charles V soldat de l’empereur » qu’un « Charles V entre Louis XIV et Léopold Ier ». En effet, Charles de Lorraine a cherché à faire valoir ses droits face à Louis XIV. Alors que Louis XIII n’avait pas reconnu le coup de force de la branche cadette - les Vaudémont - cherchant à imposer la masculinité exclusive à la succession ducale, son fils profite opportunément de cette prétention pour tenter de s’emparer à bon compte des duchés : le traité de Montmartre (février 1662) – dont le rôle a été sous-évalué - a ainsi forgé définitivement les outils du malentendu et de la brouille entre Louis XIV et Charles V, lequel a dû pendant des décennies, au gré des alliances et des négociations internationales, lutter contre la diplomatie et les prétendus droits du roi de France qui ne peut que rendre les duchés en 1697 au fils de Charles V, Léopold de Lorraine (1690-1729). L’un des alliés de Charles a été sans conteste l’empereur Léopold Ier. Celui-ci a certes vu son intérêt à soutenir la cause de ce prince en exil mais il a réellement épaulé ce dernier, parfois avec moins d’ardeur lorsque les intérêts autrichiens primaient ; il a contribué à lui tailler une réelle aura de prince d’Empire, avant tout grâce aux talents militaires de Charles, et aussi à renforcer sa dimension de prince souverain avec la participation à deux élections au trône de Pologne. Surtout, Léopold a accueilli Charles V dans sa famille avec le mariage d’Éléonore-Marie, sa demi-sœur, et lui a offert de gouvernement du Tyrol, fief familial. Ainsi, cette étude sur Charles V permet de revoir plus finement les débuts des étroites relations entre la Lorraine ducale et les Habsbourg et la naissance des Habsbourg-Lorraine dont on sait l’importance pour l’avenir des duchés au XVIIIe siècle.

Ce travail sur Charles V, prince exilé et largement oublié est donc à la fois une contribution à l’histoire diplomatique et à l’histoire d’une famille princière dans cette Europe occidentale de la seconde moitié du XVIIe siècle. C’est aussi un éclairage sur l’histoire du royaume de France car de nombreux travaux n’ont regardé que superficiellement l’importance des États lorrains dans l’histoire politique française du XVIIe siècle dont ils ont été l’un des moteurs, à n’en pas douter, en raison de l’importance de la frontière militaire du nord-est du royaume. De même, aborder Charles V est l’occasion de voir avec davantage de précision la place de la Lorraine aux yeux du Saint-Empire dont elle est partiellement séparée depuis le traité de Nuremberg (1542). Ainsi, à travers l’histoire de ce prince, on étudie bien un espace au cœur d’enjeux nationaux, internationaux et familiaux.

Tout n’est pas dit concernant Charles V et tel n’était pas l’objectif. L’étude de son existence permet d’ouvrir de nouvelles voies afin de mieux percevoir la réalité d’un État intermédiaire mais non périphérique de l’Époque moderne. Le personnel étatique demande des approfondissements, tout comme la diplomatie lorraine et aussi la vie d’autres personnalités (historiographes, artistes, membres de la famille de Lorraine). L’existence de nombreuses archives, peu exploitée, permet d’envisager des recherches et de conférer pleinement à l’histoire des duchés sa dimension européenne.