Cette étude propose d'interroger la façon dont le "Dictionnaire universel françois et latin dit de Trévoux" (1704-1771) tente de concilier dans ses articles une forme d'objectivité et de subjectivité – étant un ouvrage de transmission des savoirs du XVIIIe siècle ayant comme auteur symbolique Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, prince souverain de la Principauté de Dombes et enfant légitimé de Louis XIV. Dictionnaire encore trop peu méconnu par le public et réputé à tord comme étant un « dictionnaire de jésuites », le "Dictionnaire de Trévoux" est un formidable prisme de lecture du XVIIIe siècle – époque où s'affrontent les valeurs de l'Ancien Régime et les idées des Lumières. Rédigé avec le soutien des jésuites, mais aussi des oratoriens, dominicains, sulpiciens et laïcs entre autres, le "Dictionnaire de Trévoux" se construit par l'héritage du "Dictionnaire universel" du catholique Antoine Furetière (1690) et du "Dictionnaire universel" revu par l'historien protestant Henri Basnage de Beauval (1701). Le "Dictionnaire de Trévoux" est réédité pendant soixante-sept ans afin d'être une référence dans le domaine du savoir. Mais il cherche aussi à effacer toute trace de discours réformé dans ses articles, à soutenir la monarchie absolue de droit divin et à réaffirmer la force du dogme de l'Église catholique romaine – religion sur laquelle se fonde toute l'autorité et le sacré du Roi de France et de sa politique. Revendiquant alors un parti pris assumé dès sa préface de 1704, ce travail est aussi le moyen d'approfondir les connaissances sur les ouvrages de transmission des savoirs au XVIIIe siècle. Ces différents éléments permettent à cette étude d'être articulée autour de deux dimensions : politique et théologique. Compte-tenu de la grande importance temporelle et physique (une quarantaine d'ouvrages en format in folio allant de 1704 à 1771), cette étude repose sur plusieurs échantillons d'articles du "Dictionnaire de Trévoux" analysés de 1704 à 1771 ou uniquement sur la période de 1743-1752 si la question de la section consultée ne possède pas de dimension comparative. Suite à ce travail d'analyse, ces articles sont toujours mis en perspective par la consultation du "Dictionnaire universel" d'Antoine Furetière, du "Dictionnaire universel" revu par Henri Basnage de Beauval, mais aussi de l'"Encyclopédie" (1751-1772) de Diderot et d'Alembert qui entretient, avec cet objet d'étude, un véritable dialogue. Notre question de recherche nous permet alors de réinterroger les racines jésuites de notre objet d'étude et de nous intéresser, d'abord, au pouvoir politique et à sa mise en scène. Soutenue par une forme de théâtralité, nous découvrons alors une société française d'Ancien Régime hiérarchisée où le Roi de France apparaît comme la seule force motrice d'un ensemble déjà sclérosé. Entre réappropriation de la figure du héros antique, utilisation des hommes et femmes de Lettres de son époque (Madame de Sévigné et Madame de Scudéry notamment), description de la vie à la Cour et réaffirmation du caractère thaumaturgique du Roi de France, le "Dictionnaire de Trévoux", décrit une société française où le paysan n'existe pas, où Louis XIV apparaît comme un monarque-déifié supérieur à tous ses prédécesseurs et successeurs et où le bourgeois ainsi que le courtisan attirent toutes les méfiances. Il devient, en somme, le témoin de la « rupture définitive entre la société française et la monarchie » (Jacques Bouveresse). Enfin, notre étude autour de la dimension théologique du "Dictionnaire de Trévoux" nous a permis de révéler que ses rédacteurs montrent une Église catholique romaine forte à l'issue du Concile de Trente (malgré les querelles qui l'animent) et féroce envers les Réformateurs et leurs idées. Néanmoins, l'étude de l'article sur la grâce divine prouvent qu'ils rigidifient leur position, au risque de devenir confus dans leurs explications, et font du "Dictionnaire de Trévoux" le prisonnier éternel d'une époque qui ne l'est plus.