DESROCHE Luc
Parcours
Programmes de recherche
Le XIXe siècle catholique français est marqué par un paradoxe oratoire : alors même que la parole sacrée connaît quelques triomphes retentissants, elle amorce un lent effacement institutionnel. Cette thèse s’attache à comprendre comment, dans une France post-révolutionnaire traversée par des bouleversements politiques, sociaux et culturels majeurs, l’Église catholique a cherché à redéfinir sa parole publique, sans parvenir à reconstruire durablement un système rhétorique structuré. Historiquement ambivalente face à la rhétorique – instrument à la fois de persuasion divine et de séduction humaine – l’Église catholique avait pourtant fait de l’éloquence sacrée un art codifié, particulièrement au XVIIe siècle, considéré comme l’âge d’or de la chaire française. Le XVIIIe siècle marque un recul, souvent attribué à l’influence des Lumières, au désintérêt croissant pour les normes classiques et à la perte de crédit du clergé. Après la Révolution, l’Église tente de retrouver sa voix dans l’espace public. Ce sursaut passe notamment par les figures majeures de la prédication du XIXe siècle, parmi lesquelles Lacordaire, dont les conférences à Notre-Dame de Paris ont marqué un renouveau inattendu de l’éloquence religieuse. Ce regain d’intérêt pour la parole sacrée s’accompagne d’une importante production théorique : traités de prédication, cours d’éloquence sacrée dans les séminaires, anthologies d’orateurs anciens. Des prédicateurs comme Ravignan, Dupanloup, d’Hulst témoignent de cette vitalité. Pourtant, malgré cet essor, aucun corpus canonique stable ni institution de formation pérenne ne permet de consolider cette dynamique. La fermeture de la chaire d’éloquence sacrée de la faculté de théologie de Paris en 1885 symbolise cet abandon progressif. Cette recherche vise à interroger ce paradoxe : comment expliquer que l’éloquence sacrée, dans un siècle qui la voit renaître, ne soit pas parvenue à se constituer en discipline structurée et reconnue par l’Église elle-même ? Plusieurs hypothèses seront explorées : évolution de l’ethos des prédicateurs (notamment l’origine sociale transformée du clergé post-révolutionnaire), lien entre parole sacrée et reconnaissance sociale de l’Église, résistances internes à la rhétorique moderne. En reconstituant les logiques de construction, de diffusion et d’abandon de l’éloquence sacrée au XIXe siècle, cette thèse entend contribuer à une meilleure compréhension du rapport entre l’Église et la parole publique, ainsi qu’à l’histoire oubliée d’une discipline centrale dans la transmission de la foi.
