Édifier une justice souveraine au sein d'une principauté médiane : le tribunal du Change de Nancy (1508-1633)

Directeur / directrice de thèse
Date de soutenance
Membres du jury hors CRULH
LAPOINTE Julien, co-directeur de thèse
HOULLEMARE Marie
ROUSSEAUX Xavier
LEVELEUX-TEIXEIRA Corinne
ROUSSEL Diane
Lieu de la soutenance
Salle des thèses, Faculté de Droit, Sciences Économiques et Gestion - 13 Place Carnot - Nancy

Dans le dogme chrétien, Dieu établit les rois pour faire régner la justice sur Terre. Il s’agit de l’un des fondements de la souveraineté des monarques ; leur force politique se mesure d’ailleurs à leur capacité de juger. Lorsque le prince Antoine de Lorraine (1508-1544) monte sur le trône des duchés de Lorraine et de Bar, il est loin de correspondre à la définition chrétienne du souverain. Les jugements rendus par ses tribunaux sont susceptibles d’appel vers des cours qui échappent totalement à son contrôle. En effet, les duchés lorrains forment une principauté médiane, enserrée entre le royaume de France, à l’ouest, et le Saint-Empire Romain Germanique à l’est. La partie lorraine relève juridiquement de l’Empereur, les sentences prononcées par les juges ducaux sont donc susceptibles d’appel devant la Chambre impériale. À l’ouest, la situation n’est guère plus favorable. Depuis le traité de Bruges de 1301, le duc est contraint rendre hommage au roi pour la jouissance du Barrois mouvant, et les sentences des justices barroises relèvent en second ressort du Parlement de Paris. Au sein même de ses terres, le duc fait face à l’Ancienne Chevalerie, caste qui rassemble les plus puissantes et prestigieuses familles de la noblesse lorraine. Ces dernières estiment devoir gouverner aux côtés du prince, à qui elles disputent son pouvoir de justice par la tenue de leurs Assises. Les cours de la noblesse sont compétentes pour recevoir la quasi-totalité des appels émanant des juridictions inférieures. Néanmoins, en dépit de ces entraves, la souveraine justice du duc de Lorraine connaît un essor continu à partir du règne d’Antoine de Lorraine et jusqu’à l’occupation des duchés par le Royaume en 1633. Dans la partie lorraine des duchés, l’affirmation du pouvoir de justice du prince passe par différentes instances centrales, dont le tribunal des échevins de Nancy, surnommé tribunal du « Change ». L’échevinage a autorité sur quatre échelles géographiques différentes : le duché de Lorraine, la prévôté, la gruerie et le bailliage de la capitale. Au début du XVIe siècle, le duc dote l’instance de compétences souveraines, puis les élargit au fil des décennies. Plusieurs éléments favorisent cette excroissance. Premièrement, les contraintes extérieures s’amenuisent par la signature de traités avec le Roi et l’Empereur. Deuxièmement, par l’action des officiers savants, qui établissent l’assise théorique d’une souveraineté plus affirmée de leur prince. Ils contribuent à la mise par écrit des coutumes du pays et en influencent le contenu de façon favorable au duc. De son côté, le duc légifère abondamment. Il densifie l’administration de sa justice, impose ses normes délictuelles et donne des règlements toujours plus précis à l’attention de ses tribunaux. Le Change accompagne ces changements. La cour acquiert de nouvelles compétences tandis que son organisation interne et matérielle est bouleversée par les réformes engagées par le prince. Dans leur exercice de la justice, les échevins agissent comme des vecteurs de souveraineté. Au criminel, grâce à la procédure inquisitoire, les magistrats poursuivent et portent aux yeux de tous les actes jugés répréhensibles par le pouvoir ducal. Au civil, ils véhiculent auprès des justiciables leur justice savante, très éloignée des pratiques orales des sièges villageois. L’objectif de ce présent travail sera d’étudier ces différents aspects, c’est-à-dire la vie au Change (les justiciables, les procès), l’organisation de l’institution (les compétences, le matériel et les membres du personnel) ainsi que la production théorique et législative autour du pouvoir de justice du prince de Lorraine, afin d’entrevoir les mécanismes constituant l’essor de la souveraineté judiciaire de celui-ci.