Au-delà des miroires : la littérature politique dans la France de Charles VI et Charles VII
Dans la France du XVe siècle, marquée tout d’abord par la guerre, les troubles politiques, les incertitudes quant à l’état mental du roi ou à sa légitimité, puis par la stabilisation progressive de la société politique et la réforme des institutions de gouvernement, l’abondante littérature de conseil politique dément la vision que l’on a parfois du caractère statique du genre : bien au contraire, ces ouvrages, qu’il s’agisse de « miroirs », de « conseils », de « remontrances », ou encore de prophéties, s’inscrivent profondément dans le contexte de cette période, proposent des réformes précises, prennent en considération les renouvellements du savoir. Dans la situation d’urgence qui marque les règnes de Charles VI et Charles VII, chaque membre du corps politique peut se sentir investi du droit à la prise de parole, qu’il s’agisse de proposer des solutions aux crises qui secouent le royaume, de défendre les libertés ou de critiquer le gouvernement.
Si l’étude de la littérature politique médiévale doit se faire dans le cadre de périodisations amples, il semblait toutefois important de se pencher séparément sur la production de cette période, dont la forme – la pastorale, par exemple –, la thématique (la justification du tyrannicide, l’exclusion des femmes de la succession royale), comme le contexte politique très particulier où elle s’inscrit, offrent de nombreuses spécificités. Par ailleurs, les destinataires ne sont plus ceux d’avant la crise provoquée par la folie de Charles VI en 1392 : on s’adresse aussi bien aux proches du roi qu’au roi lui-même, et les princes du sang occupent naturellement une place nouvelle dans l’organisation des pouvoirs, comme dans la littérature qui les prend souvent pour destinataires. On trouve la même ouverture du côté des auteurs, qui recourent désormais presque systématiquement à la langue vernaculaire pour s’exprimer. La diffusion, grâce à l’imprimerie, de certains textes, put aussi contribuer à transformer le lectorat de cette production.
Plusieurs colloques avaient pris les « miroirs » pour objet (Rouen, Dunkerque), et cette initiative s’est inscrit dans leur continuité, mais peut-être fallait-il tenter d’emprunter quelques voies peu explorées, de s’attacher aux textes méconnus et inédits et d’ouvrir plus largement le spectre de la production politique, tout en croisant les approches des historiens avec celles des philosophes, des littéraires et des historiens du droit. L’étude d’œuvres précises, des autorités partagées par les auteurs, des filiations textuelles ou des thèmes transversaux ont permis de contribuer à renouveler les thèmes et les analyses.