D'une seigneurie l'autre : les sources de la seigneurie normande à travers le chaos de la guerre de Cent Ans (1390-1480)

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Conférence
17h30
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par Ysaline BOURGINE DE MEDER

 

« Les pays (...) sont tournés à l'état de mer où chacun a [au]tant de seigneurie qu'il a de forces », disait le poète et diplomate Alain Chartier, ayant vécu au cœur de la guerre de Cent Ans et mort en Normandie. Un traité de négociation franco-anglais datant de 1429 estime à 4000 le nombre de ces seigneuries, qui représentent un atout essentiel pour le pays qui possède la souveraineté sur elles, spécialement en temps de guerre. Un atout d’abord économique, puisque la monarchie tire des revenus considérables par le biais de différentes taxes et coutumes, ainsi que politique et juridique, car les seigneurs ont le devoir de défendre leurs manoirs ainsi que leurs tenants. Enfin, c’est en Normandie que les seigneurs exécutent le service militaire le plus fréquemment et rigoureusement, ce qui n’est pas négligeable pour une monarchie en manque de personnel guerrier. Ces seigneuries et leurs seigneurs peuvent changer le cours de la guerre, et les Français comme les Anglais en ont tout-à-fait conscience. C’est pour cette raison que le monarque anglais Henri V appelle les seigneurs normands à venir lui rendre hommage alors que l’invasion anglaise n’est pas encore officielle en Normandie. C’est pour cette même raison que Charles VII demande à recevoir l’hommage des seigneurs normands alors que le traité de Formigny signant la fin officielle de la guerre de Cent Ans n’est pas encore signé.
 
Cependant, ces seigneuries restent un sujet très peu exploité par la recherche historique. Déjà, parce que les seigneurs normands post-Normandie ducale de moyenne voir moindre importance ont déclenché peu de passions en dehors des travaux de Denise Angers. Ensuite, parce l’état des sources est plutôt déplorable : les cartulaires seigneuriaux qui inventorient les biens et droits de ces seigneurs, ont été très touchés par les révolutionnaires de 1789 et au-delà, et sont à présent dispersés et incomplets pour la majorité d’entre eux. De fait, les historiens ont préféré se concentrer sur les plus grandes familles seigneuriales, présentes dans les plus hautes sphères de la noblesse Normande, comme les ducs et les barons, dont les sources sont systématiquement plus accessibles et en meilleur état. Enfin, il existe très peu de sources françaises pour ces seigneuries lors de l’occupation anglaise de la Normandie (1415-1450), ce qui empêche l’étude continue de ces seigneuries à travers le XVe siècle.
Afin de combler ce fossé historiographique, j’ai choisi d’analyser plusieurs registres des aveux et dénombrements rendus par les seigneurs normands à la monarchie française, de 1390 à 1552, ainsi qu’associer les sources anglaises dites « rouleaux » ou « English Rolls ». Le contenu et le style de ces aveux et dénombrements reflètent l’ambiance politique du moment de leur écriture. Je me pencherai donc sur les spécificités de chaque type de source, française ou anglaise, qui donnent de précieuses indications sur les relations entre les deux monarchies et ces seigneurs normands en temps de guerre. Par exemple, en temps de prospérité, on remarquera dans l’affluence des dénombrements l’abondance de détails sur les revenus de ces seigneurs et les avantages qui leur sont procurés par la monarchie. Inversement, en temps de guerre, les seigneurs optent pour des aveux plus courts, de nature militaire, et une absence presque complète de dénombrements. Enfin, ces sources renseignent également sur l’état de l’administration d’une monarchie française désorientée et submergée par la tâche administrative de la reconstruction.
 

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