Le pouvoir de décider. Christianisme, Occident, du Grand Schisme à nos jours
Colloque organisé par le CRULH, Université de Lorraine et la Société d'Histoire religieuse de la France
Deux ânes symbolisent la confrontation du sujet à la prise de décision : dans la Bible, l’ânesse de Balaam (Nb 22, 21-35), plus clairvoyante que son maître pour comprendre la volonté divine, lequel finit par s’y conformer et refusa de maudire le peuple d’Israël face à ses ennemis de Moab ; dans la philosophie, l’âne du maître ès arts parisien du XIVe siècle, Buridan, qui, selon la tradition, mourut incapable de trancher entre la satisfaction de sa faim et celle de sa soif. Deux exempla qui enseignent que l’art de décider, le pouvoir de trancher, constitue une expérience commune aux conséquences vitales. C’est dans la même direction que pointe la racine latine du verbe « décider » : decidere, c’est d’abord trancher, couper une branche d’arbre, un membre, une tête ; mais c’est aussi terminer une affaire, sens qui glisse vers l’idée de transiger, de s’accommoder, dans la perspective de clore un différend. Les résonances du terme vont donc plus loin que la définition lapidaire du Robert : « disposer en maître par son action ou son jugement ». L’historien sait que l’affaire n’est pas si simple et que se cachent des réalités multiples derrière le sujet qui dispose, les conditions dans lesquelles les jugements sont forgés, la mise en œuvre des actions.
Il a semblé au CRULH et à la SHRF que l’histoire du christianisme occidental, de la fin de la période médiévale à nos jours, constitue un terrain fécond pour approfondir ces notions et invitent à le faire au cours d’une rencontre scientifique qui se déroulera à Nancy entre le 5 et le 7 octobre 2023. L’Église occidentale puis les Églises après la Réforme, sont en effet le cadre d’un riche éventail d’expérimentations en matière de prise de décision. À titre collectif, tout d’abord. Au sein d’une Église par nature communautaire (ecclesia, assemblée), la question du pouvoir de décider n’a cessé de se poser. Dans le monde latin, elle a pris toute son ampleur au fur et à mesure que se mettait en place la puissante construction institutionnelle que l’on connaît, affectée à la fin du Moyen Âge par une crise de croissance majeure, le Grand Schisme, sur lequel s’ouvre la chronologie retenue pour cette rencontre. Elle s’est poursuivie avec la création des diverses Églises protestantes qui ont expérimenté plusieurs systèmes ecclésiologiques. Et les débats sur le pouvoir dans l’Église sont loin d’être clos de nos jours, comme le suggère, pour l’Église catholique, la réflexion inaugurée par le pape François sur le cléricalisme et la synodalité. À l’échelle individuelle, dans la mesure où elle s’adresse à la conscience de ses membres auxquels elle demande une adhésion de foi et dont certains engagent leur vie dans ses rangs par la cléricature ou l’entrée dans un ordre religieux, l’Église a réfléchi au processus du discernement intérieur : les Jésuites en ont fait un maître mot de leur spiritualité. Dans cette perspective, le « pouvoir de décider » renvoie au débat du libre arbitre et de la grâce, qui a fait couler beaucoup d’encre dès la Réforme et tout au long de l’époque moderne. Entre ces deux extrêmes, tout un ensemble de groupes, communautés monastiques, ordres religieux, diocèses, paroisses, confréries se sont aussi trouvés aux prises avec la question du pouvoir de décider.
La réflexion à laquelle nous a invité cette rencontre a pu se décliner selon les thèmes suivants : qui décide et comment ; dans quelles conditions et en fonction de quelles options s’élabore la décision, dans la mesure où le sujet ne s’en remet pas à la grâce seule ; comment la décision est-elle appliquée ?