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La période 1870-1914 fait l’objet de nombreux travaux, notamment dans le champ de l’histoire militaire. La recherche historique, mis à part les travaux et ouvrages de Guy Pedroncini, François Cochet, Michel Goya et du LCL Gué, semble avoir opté volontairement pour une histoire de la guerre et de sa préparation comme « fait total » et, donc, avoir relativement privilégié les aspects politiques, sociaux et culturels du fait militaire.
Ces approches, qui ont toutes leur pertinence, ont tendance à marginaliser l’étude de la tactique, de l’organisation et des mouvements internes du système militaire, notamment comparées à celles des autres nations européennes à la même époque. Le sujet de l’instruction de l’armée, et donc des grandes manœuvres, éminemment « tactique », n’a ainsi jamais été traité en lui-même et pour lui-même.
Cette historiographie dominante fonde la tendance à traiter la question des manœuvres uniquement comme un fait militaire social (marqueur de diffusion du fait militaire dans la société) et un fait politique (marqueur de la structuration de l’appareil politico-militaire de la IIIe République). En parallèle, une forme de lecture rétrospective de la période, au vu des évènements de la Première Guerre mondiale, a tendance à souligner l’inefficacité de l’instruction individuelle et collective de l’armée, ainsi que la valeur heuristique limitée de l’entraînement tactique, des débats organisationnels, doctrinaux et capacitaires.
Les grandes manœuvres, sous toutes les formes qu’elles ont prise sur la période, étudiées en lien avec le continuum complet de l’instruction individuelle et collective de l’armée, sont un « fait transverse » important. En effet, elles se structurent dès les lendemains de la guerre de 1870-1871, sur le modèle prussien et sur l’héritage impérial, et sont organisées et conduites annuellement jusqu’en 1914 inclus. Elles ont un lien évident aux débats intellectuels sur la guerre, aux questions politiques, doctrinales, organisationnelles et capacitaires et offrent une prise thématique unique, là où de nombreux travaux traitent séparément les différents aspects du redressement militaire de la France entre 1871 et 1914. Le poids des grandes manœuvres d’avant-guerre sur la conception de la bataille semble également avoir pesé de façon non négligeable sur les plans et la phase de la guerre de mouvement, de la bataille des frontières à la stabilisation du front (août-octobre 1914).
Les évolutions de format des grandes manœuvres sur la période, ainsi que la documentation et les archives disponibles foisonnantes contribuent au fractionnement du sujet et à une difficile approche transverse. Jusqu’au début du XXe siècle, l’autonomie relative laissée aux généraux commandant les corps d’armée et aux directions techniques d’armes, notamment quant aux thèmes des manœuvres et aux modalités de détail rendent également difficile une approche globale du sujet, les variantes entre grandes unités et armes étant nombreuses.
Il pourrait s’agir de répondre à la question suivante : la pratique des grandes manœuvres entre 1871 et 1914 a-t-elle donné à l’armée française un avantage comparatif vis-à-vis de l’armée allemande dans les premiers mois de campagne, dans le domaine de la préparation collective à la guerre des grandes unités et dans la structuration de l’appareil politico-militaire ?
Pour traiter le sujet, l’approche méthodologique de François Cochet, décrite dans Histoire militaire de la France , paraît particulièrement adaptée. Il s’agit de croiser une approche macro-historique et une approche micro-historique, le tout sur la période 1871 – 1914, les deux années incluses.
L’approche macro-historique est nécessaire pour faire émerger la logique de la structuration des grandes manœuvres, indiquer l’évolution de leurs formes et contenus, de leurs enjeux et de leur valeur heuristique sur toute la période. Cette approche devra définir les caractéristiques des grandes manœuvres, leur évolution, leur envergure (approche statistique), ainsi que leurs places sur trois dimensions : les débats généralistes sur la guerre, en tant que fait interne à l’armée et en tant que fait externe à l’armée.
L’approche micro-historique complète la première approche généraliste. Elle doit permettre d’illustrer les structures, les permanences et évolutions à travers deux enquêtes monographiques et une enquête prosopographique. Ces enquêtes permettront de démontrer et de pondérer les hypothèses générales tirées de l’approche macro-historique et de produire des données statistiques inédites, permettant de prendre conscience dans leur contexte local et national de l’importance de ces manœuvres. Pour se faire, une monographie des grandes manœuvres d’une grande unité (le 1er corps d’armée) ainsi que celle d’une arme (la cavalerie) seront proposées et complétée par une prosopographie des officiers directeurs et participants de ces grandes manœuvres.
En première approche, le sujet semble devoir être étudié sur trois phases distinctes :
• la période 1874-1890 : rénovation des grandes manœuvres, structuration de la pratique en lien avec les grandes questions intellectuelles, politiques et militaires de la période. C’est en quelque sorte « la belle époque » des grandes manœuvres, elles permettent d’ancrer l’armée dans la société, de mettre en scène la relation politico-militaire et d’adresser des messages stratégiques vers l’étranger. Les grandes manœuvres sont alors le cœur de la préparation collective à la guerre et tournée vers la préparation du soldat à la bataille, ainsi qu’à la rénovation des règlements.
• la période 1890-1913 : le poids relatif des grandes manœuvres dans le continuum de l’instruction collective semble baisser au profit des « évolutions combinées » et des « manœuvres d’état-major » qui ont lien plus direct avec les plans de mobilisation et de combat, et qui permettent également d’intégrer les feux réels. Elles restent tout de même un lieu de débat doctrinal et capacitaire important qui sera prolongé longtemps après la guerre entre les protagonistes de la guerre de mouvement.
• l’année 1914 : des grandes manœuvres ont été programmées mais non exécutées en 1914, la campagne d’août à octobre 1914 peut être regardée comme l’ultime grande manœuvre de guerre des deux camps. Avant que les mécanismes d’adaptation réactive ne jouent, le commandement comme les grandes unités ont manœuvré et combattu avec des conceptions, des équipements et des tactiques assez largement façonnés par les grandes manœuvres d’avant-guerre.
