De la formation des officiers de l'armée camerounaise en France à la naissance d'une élite militaire au Cameroun (1959-2015) : approche prosopographique

Le réseau très dense des écoles militaires françaises attire les soldats des armées africaines qui y forment l’essentiel des hommes et des femmes destinées à occuper des postes de commandement au sein de leurs armées nationales respectives. En effet, par-delà les circonstances et les époques, la formation des officiers des armées africaines dans les écoles militaires françaises demeure une caractéristique permanente de l’histoire des coopérations militaires entre la France et les pays africains. À y regarder de près, l’ampleur du phénomène est telle que ces écoles sont devenues incontournables dans l’analyse et la compréhension du système de fabrication des élites et la construction des carrières militaires en Afrique. Si à l’observation, une telle formation semble aller de soi, il n’en demeure pas moins vrai que le choix de ces hommes et femmes, indépendamment de leurs corps d’armées respectifs, et qui sont destinés à se rendre en France pour une formation ou un stage relève, à la base, d’un système de tamisage hautement sélectif. Depuis 1960, la population des officiers africains brevetés des écoles militaires françaises n’a cessé d’accroitre, faisant d’elle, un segment démographique distinct et différent au sein de leurs armées nationales respectives. Typique de ces armées dont les écoles militaires françaises continuent d’attirer et de former les élèves officiers est l’armée camerounaise. À quelques différences près, cette dernière comme bien d’autres, fut Pensée, organisée et mise sur pied par la France dans le sillage de lutte contre le maquis entre 1955 et 1971.
Sur la période allant de 1959 à 2015, le nombre d’élèves officiers camerounais formés dans les écoles militaires en France est considérable sinon proportionnel à l’intensité des coopérations militaires entre les deux pays. Dès 1959, date de sa création, l’armée camerounaise n’a cessé de former dans de nombreuses écoles militaires françaises la plupart des officiers destinés à exercer des fonctions de commandement et d’encadrement des troupes. Cette proportion d’officiers camerounais formés en France a connu, sur une période de cinquante ans de coopération militaire en les deux États, une augmentation considérable. De par leur nombre, cette population militaire formée en France constitue au sein même de l’armée camerounaise, une classe à part entière. Que ce soit pour une longue période de formation ou pour un court stage d’application, le passage dans les écoles militaires françaises confère à ces élèves officiers une différentiation sociologique et statutaire, ouvrant ainsi la voie à d’exceptionnelles carrières militaires. Par exemple, c’est dans leur rang que sont recrutés les hommes et femmes pour le commandement, l’encadrement et la gestion de troupes, régiments, garnisons, corps et régions militaires au Cameroun. À tous les niveaux et postes de responsabilité et/ou de commandement, on trouve, dans l’armée camerounaise, des hommes et femmes dont la formation s’est en partie déroulée dans les académies militaires en France. Au sein de l’armée camerounaise tout corps confondu, ces officiers constituent un collectif dont le lien commun est la détention des brevets et certificats délivrés par les écoles militaires en France à l’issue d’un stage ou d’une formation. De retour au Cameroun, ces hommes et femmes qui réintègrent ou intègrent l’armée ont pleinement conscience du prestige engendré par leur formation en France, ce qui leur donne un statut de privilégiés ou d’élite militaire au sein de cette armée. Ce qui convient de noter ici est moins l’histoire de la coopération militaire entre la France et le Cameroun que le nombre, les profils, les transferts cultures, les réseaux, les parcours de vie et le devenir des officiers de l’armée camerounaise formés dans les écoles militaires françaises. Loin d’être une simple étape négligeable dans une carrière militaire au Cameroun, le passage dans ces écoles accélère la carrière de beaucoup d’officiers camerounais et participe ainsi, très activement, au système d’écrémage de l’élite militaire au Cameroun.
Cette étude analyse la coopération militaire entre les deux pays et apporte particulièrement une nouvelle contribution à l’histoire militaire du Cameroun. Avec une nouvelle méthode d’analyse, cette thèse entend apporter une contribution significative à l’historiographie de la coopération militaire entre la France et le Cameroun. À ce titre, elle entend constituer des notices individuelles fondées sur des renseignements biographiques à propos des officiers ici étudiés ; l’analyse historique, comparée et croisée des notices ainsi constituées permettra de dégager les similitudes, de souligner les particularités et donc de construire un récit général susceptible d’apporter une grille de lecture et de compréhension à l’histoire, la place et le fonctionnement de l’institution militaire au Cameroun. À partir des données quantitatives et qualitatives, cette thèse entend resituer ces officiers dans leur milieu social de provenance, communautaire d’origine, géographique d’appartenance et leur corps d’armée de profession afin de retracer sur le temps long leur parcours. Saisir les liens, mettre en évidence les réseaux et les systèmes de promotion sont autant de pistes que cette étude se propose d’explorer afin de comprendre la façon dont les carrières militaires se pensent et se construisent dans une société africaine contemporaine.