Prêcher dans les espaces lotharingiens, XIIIe-XIXe siècles
Le domaine de la prédication, largement renouvelé d’abord par l’historiographie médiévale, puis par les chercheurs des Temps modernes et de l’Ere contemporaine, est à coup sûr une des clés de compréhension de la pastorale en action. L’envisager sur la longue durée, sans effacer les contextes particuliers et resserrés de chaque époque (lutte contre les hérésies, affrontements confessionnels, scansions politiques fortes telles les Guerres de Religion ou la Révolution) et dans le vaste espace de cette étroite Europe médiane (parmi les principautés s’affirmant entre Empire et Royaume de France mentionnons le Milanais, la Savoie, les Etats Suisses, la Bourgogne, la Lorraine, les différents territoires d’obédience espagnole...), offre l’occasion d’analyses précises de la pratique et des pratiquants. En premier lieu il faut partir de l’homme de la parole lui-même, l’identifier par sa qualité et sa légitimité, la formation reçue. Il faut envisager sinon sa carrière du moins le cursus qui le conduit jusqu’à sa reconnaissance par les autorités (au sein d’un ordre, d’une province, d’un diocèse, d’un Etat ou d’une ville), par le public (auditoire visé) et la postérité (biographies, mise par écrit des sermons).Un second chantier est celui de l’exercice même de l’art oratoire, à commencer par les circonstances de son déroulement. Aux rendez-vous ordinaires du christianisme (homélies dominicales, prônes, panégyriques) s’ajoutent des circonstances extraordinaires mais attendues (stations d’avent, de carême, des octaves des fêtes mariales et christiques, des morts) ou presque plus exceptionnelles (jubilés, missions, canonisations, rassemblements, oraisons funèbres, commémorations politiques et identitaires locales ou « nationales »). Cet ensemble toujours dense laisse l’impression d’une concurrence entre les confessions, les clergés les sanctuaires, mais aussi celle d’une progressive saturation de l’espace et du temps par une parole autorisée. Ce mouvement, d’abord urbain puis progressivement étendu aux campagnes, est révélateur de l’omniprésence du discours religieux, partout espéré ou proposé. La contextualisation plus politique ou militaire, de caractère conjoncturel, doit être envisagée car elle a une très grande influence sur l’organisation de la prédication et la circulation des orateurs. La présence d’une prise de parole religieuse non catholique ne doit pas être non plus écartée. Une importance particulière doit enfin être apportée aux conditions matérielles de l’exercice du ministère de la parole, aux moyens logistiques et financiers mis à la disposition des orateurs sacrés. Alors que la prédication s’institutionnalise au cours de ces siècles, on favorise nettement la tenue des sermons au sein des sanctuaires et temples. Cette volonté de plus grande sacralisation et ritualisation entraine un marquage immobilier dont le développement moderne et contemporain des chairesà prêcher rend compte.
Reste à savoir si le positionnement de frontière à la fois confessionnelle et politique, mais aussi linguistique, qui caractérise la spécificité de la Lotharingie- Dorsale catholique est l’occasion d’une singularité. En d’autres termes, y aurait-il une dramatisation particulière de la parole dans notre zone parce que celle-ci aurait été exposée aux hétérodoxies plus qu’ailleurs en Europe ?