Solidarités, assistance et religions (XIIe-XXIe siècle)

 

Révélatrice (cf.  Michel Mollat, Les pauvres au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1978) de l’état d’une société à un moment donné, l’attention aux personnes vulnérables (malades, handicapés, enfants abandonnés, personnes fragiles et âgées, étrangers...) et à toutes formes de pauvreté (matérielle, morale, intellectuelle…), a suscité en Europe occidentale au cours des siècles de nombreuses initiatives souvent inspirées par les religions. Le chapitre XV de l’Évangile de saint Matthieu (« tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens… c’est à moi que vous l’avez fait ») est en effet une référence essentielle dans le christianisme. De ce fait, l’Église catholique a valorisé la charité et les « œuvres de miséricorde » et, au XIXe siècle, est confrontée à la « question sociale » (accroissement de la misère, précarité du monde ouvrier…) qui a conduit le pape Léon XIII à promulguer l’encyclique Rerum novarum (1891), tandis que protestantisme accorde beaucoup de place à toutes les formes d’entraide. Le judaïsme prescrit une solide éthique d’aide à autrui et de bénévolat afin de se sanctifier et l’Islam fait de l’aumône l’un des cinq piliers. Les religions se sont adaptées au contexte nouveau de la fin du XIXe siècle où sont apparues les notions plus générales de solidarités et d’assistance relayées par celle de care qui a vu le jour aux États Unis dans les années 1980.
Des recherches sur ces thématiques ont jusqu’à présent été menées de manière ponctuelle ou individuelle par des membres de l’axe 4, mais dans le nouveau quinquennal elles vont prendre la forme d’un sous axe important et bien identifié qui regroupe médiévistes, modernistes et contemporanéistes de l’axe et, pourra, dans ses projets, s’élargir à des collègues philosophes, sociologues, psychologues, médecins et pharmaciens. Il s’intéressera aux solidarités et assistances dans les religions en Europe sur la longue durée, du XIIe à nos jours, en prenant - mais s’en s’y limiter - des exemples dans le Grand Est, et plus spécialement en Lorraine, terre de frontière et de passages, victime au cours des siècles des « misères » de nombreuses guerres, d’épidémies, de destructions et de crises industrielles.
Il sera d’abord question de la solidarité à l'intérieur de chaque religion à travers les différentes initiatives, dans le cadre professionnel (des confréries de métiers du Moyen Âge à la JOC et au syndicalisme chrétien), et paroissial (œuvres catholiques, solidarités entre communautés protestantes…) mais en insistant sur les institutions d’accueil  qui se développent à partir du XIIe siècle, période de « floraison hospitalière » : l’exemple de la Lorraine est pertinent car elles y étaient nombreuses et ont laissé des archives abondantes encore peu exploitées : hostelleries et hôpitaux monastiques (St-Vanne de Verdun, Juvigny, Sturzelbronn …), établissements des ordres religieux de soin et d’assistance (Templiers, hospitaliers, Trinitaires, Antonins, Lazaristes, frères de St-Jean de Dieu, ordre de Saint-Charles constitué à Nancy, sœurs de Notre-Dame visant à l’éducation des filles fondées par Alix Le Clerc…). On se penchera également sur les spécificités des fondations ducales (René II, Charles III, Léopold et Stanislas), les établissements en faveur des sourds, aveugles et malades mentaux et la place de la médecine et des institutions juives.
Le sous axe s’interrogera également sur les solidarités entre confessions différentes -ce qui renvoie notamment au dialogue interreligieux- et sur la place de la religion dans les solidarités sociales :  ainsi on se penchera sur la façon dont les associations caritatives, ou les structures médicosociales d'origine religieuses ou laïques abordent la solidarité vis à vis des plus vulnérables. À travers des exemples, il sera question des réponses tant matérielles que spirituelles apportées par les hôpitaux du Moyen Âge et de l’époque moderne, un sujet profondément renouvelé depuis une vingtaine d’années et qui rejoint des problématiques déjà esquissées lors du GIS religion de 2021.  La FNISASIC s'était interrogée il y a quelques années sur la question de l'identité chrétienne dans les établissements médicosociaux d'inspiration chrétienne dans le monde d'aujourd'hui en France : qu'est-ce qui peut distinguer une solidarité religieuse d'une solidarité laïque, comment cette solidarité s'exprime au quotidien dans l'accompagnement des personnes vulnérables ? Placée sur le temps long de l'histoire, comment les organisations religieuses qui avaient le "monopole" de la solidarité et de l’assistance, via le principe de charité, ont évolué au regard de la question de la laïcité ? S'il y a eu affrontement sur la question de la séparation des Églises et de l’État, le secteur de l'aide aux plus vulnérables a été plutôt le lieu, sinon d'une coopération, au moins d'une alliance objective.
Une autre perspective importante est celle des solidarités religieuses en période de crise, et du rôle des religions, à travers ces solidarités, qu'elles soient spontanées ou organisées. La Lorraine offre là encore un bon terrain d’études dans un contexte d’épidémies (de la peste noire au covid 19 en passant par le choléra et la grippe espagnole), de conflits (en s’intéressant par exemple le rôle des aumôniers de guerre et les hôpitaux de fortune crée à l’initiative de croyants lors du premier conflit mondial), et des crises sociales (importance du syndicalisme chrétien  telle la CFDT dépositaire de l'héritage du syndicalisme chrétien de la CFTC et où interviennent de nombreux « anciens » de JOC), ou encore l’accueil des migrants ou des réfugiés.
Enfin la solidarité religieuse peut aussi être abordée "au risque de la perversité", au regard des agressions et violences sexuelles. Si les catholiques ont été au premier plan (cf. rapport Sauvé), cette question concerne aussi les autres religions et renvoie plus largement à la question du rapport entre autorité et religion, autonomie et risques de dépendance.

Parmi les projets concrets sont envisagées des rencontres scientifiques dont en 2024 un colloque « religion et santé » et un autre en 2025 sur les structures d’accueil monastique au Moyen Âge, des thèses et le lancement d’une ANR (C. Guyon et al.) en 2024 ou 2025 sur les institutions hospitalières et les fondations en Lorraine qui aboutirait à la constitution d’une base de données et à la publication d’un guide sur le modèle de ce qui s’est fait en Picardie (Les hôpitaux de Picardie du Moyen Age à la Révolution: Répertoire et guide des sources, sous la dir. de Marie-Claude Dinet-Lecomte et Pascal Montaubin, Paris, Encrage, 2015) .

 

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