Porteurs du projet : Christine Barralis, Julien Léonard
Partant du concept de gouvernementalité forgé par Michel Foucault dans ses cours au Collège de France à la fin des années 1970, ce projet vise à observer sous un angle nouveau la question de la conduite des Églises chrétiennes au Moyen Âge et à l’époque moderne, notamment en déconstruisant l’idée d’un système de pure domination du haut vers le bas et en posant la question de l’adhésion et de la participation (mais aussi des résistances) des populations, tant laïques que cléricales, au gouvernement ecclésiastique qui leur est proposé / imposé.
Sur un sujet qui peut donc sembler de prime abord classique, le renouvellement s’opérera par l’apport des problématiques les plus récentes en histoire religieuse, ainsi que dans d’autres sciences sociales (anthropologie, sociologie). L’originalité du projet sera aussi garantie par trois caractéristiques de l’équipe de l’axe. La première est le comparatisme à l’intérieur des différentes branches du christianisme, avec des spécialistes d’histoire du catholicisme et d’autres des protestantismes (essentiellement réformé et luthérien). La deuxième est de bénéficier d’un observatoire privilégié : plusieurs membres du CRULH travaillent sur la zone « lotharingienne », à la fois cause et conséquence du dynamisme de la récente ANR « LODOCAT » portée par le laboratoire. Les zones de frontières, de contacts et de coexistence attirent l’attention sur les proximités, les différences, les rivalités et les influences réciproques entre Églises chrétiennes. Enfin, troisième atout de notre axe, nous travaillons en coopération diachronique entre médiévistes et modernistes, de part et d’autre d’une limite chronologique académique et conventionnelle qui gagne bien souvent à s’effacer, tant on peut gagner à la transposition de problématiques de l’une à l’autre période.
Le projet se veut global, car il inclura des réflexions sur la définition même et la nature de ce qu’est « l’Église », pensées généralement à plusieurs échelles territoriales (Église universelle / catholique, Église « locale » avec des conceptions d’ailleurs différentes entre catholiques et protestants) ou à différentes échelles sociales (l’Église de tous les fidèles versus l’Église dont le corps est incarné par les seuls clercs), et cela aura des influences sur la gouvernementalité selon les sens qu’on y donne, ou les ambiguïtés qu’on y laisse. Différentes problématiques peuvent nourrir cet effort de définition, par exemple la question du schisme et de l’hérésie, ou encore celle de la place que doivent ou peuvent prendre les laïcs dans la conduite des affaires ecclésiastiques.
L’échelle privilégiée sera toutefois celle de l’Église « locale » (diocésaine chez les catholiques, davantage circonscrite chez les réformés). En effet, la vitalité et la spécificité des Églises locales se perçoit bien plus longtemps que ce que l’historiographie laisse entendre, et même l’uniformisation tridentine peut être interrogée à cette aune, car elle n’empêche pas le maintien de certaines diversités. Surtout, la pression centralisatrice n’est pas linéaire, certaines périodes (notamment le XVe siècle) pouvant marquer des retours en force des Églises locales, paradoxalement par le renforcement d’une nouvelle échelle, nationale (Église gallicane). Cette focalisation scalaire et comparatiste permettra d’aborder de nombreuses problématiques qui ne sont pas nouvelles en elles-mêmes, mais qui seront ainsi revivifiées, par exemple celle de la collégialité du gouvernement et de l’articulation avec la hiérarchie, mais aussi celle des liens avec le pouvoir civil et de son ingérence dans les affaires de l’Églises. Cette dernière question permettra de voir les influences réciproques entre État et Église sur les modes de gouvernement, des influences nourries par la porosité des carrières professionnelles des clercs. C’est aussi à l’échelle locale que pourra être reformulée la question de la légitimité, de l’autorité et de son absolu, des contraintes qui pèsent sur les acteurs de la prise de décision et de la façon dont les fidèles doivent la recevoir et l’appliquer.
Avant même la mise en œuvre de ce projet sur le futur quinquennal, l’axe participera activement à l’organisation du colloque de la Société d’histoire religieuse de la France qui aura lieu en octobre 2023 à Nancy sur « Le pouvoir de décider », et des membres s’inscrivent également dans les réflexions liées aux projets de Julien Théry (PR, Lyon 2) sur l’étude du gouvernement pontifical à la fin du Moyen Âge.
Le projet lui-même sera principalement mené autour de deux objectifs de productions à son issue (2024-2028). Dans les deux cas, il s’agira dans un premier temps de constituer un groupe de travail informel, avec des workshops réguliers sur 2 ans, puis d’évaluer la pertinence de proposer un ouvrage collectif ou un dossier thématique conséquent dans une revue à rayonnement international. Les deux thèmes principaux choisis porteront pour l’un sur la synodalité et la collégialité de la prise de décision dans l’Église locale, et pour l’autre la participation / exclusion / surveillance des laïcs.