Frontières entre représentations et pratiques - CIERA

 

Porteurs du projet : Laurent Jalabert (MCF habilité, CRULH), Julia Schmidt-Funke (Pr. Dr. FAU Erlangen-Nürnberg, Lehrstuhl für Geschichte der Frühen Neuzeit), Maike Schmidt (Dr., FAU Erlangen-Nürnberg).

Depuis les années 90, l’émergence des régions frontalières a fait l’objet d’un nombre croissant d’études à caractère historique, s’intéressant aux enjeux politiques, culturels, confessionnels et linguistiques dans les soi-disant « Übergangsregionen »  ou « sociétés de frontière », généralement marquées par un haut degré de morcellement territorial et un métissage culturel dû aux activités et relations transfrontalières, donnant ainsi naissance à un particularisme culturel. Parmi les classiques européens récurrents, on citera notamment les régions alpines  et pyrénéennes  ainsi que l’espace jurassien  et rhénan. Durant les deux dernières décennies, la discussion autour des espaces frontaliers et leur historicité a connu une intensification remarquable grâce à la sensibilité accrue face à la notion de frontière, tant dans sa matérialité (cartographie, iconographie)  que dans son immatérialité, et à l’intérêt croissant pour la perception de l’espace avec notamment l’émergence des identités frontalières dans les territoires conquis  et leurs mutations mémorielles au cours des siècles.
Ce renouvellement des travaux sur les espaces frontaliers est, d’une part, lié aux tendances méthodologiques récentes telles que l’histoire culturelle et l’Alltagsgeschichte qui ont permis de faire évoluer, de dépasser et même de remplacer la comparaison.  En effet, l’approche croisée cherche à s’appuyer sur les „Transfers und Übertragungen“ , à savoir les mécanismes de transfert permettant de mieux saisir les principes de métissage culturel, pour ainsi dépasser amplement l’horizon des relations entre groupes définis par l’adhésion à telle ou telle nationalité et de prendre en compte l’échelon local trop souvent négligé. D’autre part, avec l’actualité d’une « Europe des régions » et ses regroupements interrégionaux, on notera une sensibilité accrue face aux dimensions historiques du processus de régionalisation, en marge des Border studies focalisées sur le temps présent.
La pertinence historique des espaces « partagés » franco-germaniques, marqués par des dynamiques de morcellement et d’affrontements militaires, est une réalité qui trouve une illustration particulière dans l’espace mosello-sarrois, un terrain d’observation et d’analyse toujours d’actualité.  Encore en 2019, plusieurs manifestations ont attesté de l’actualité de la thématique et l’intérêt continue des histori(e)nnes de France et d’Allemagne à travailler en commun à ce sujet.  En revanche, le discours sur les espaces frontaliers manque d’objets définis , d’une méthodologie systématique et d’une approche partagée relevant de la rencontre binationale et pluridisciplinaire qui s’annonce généralement rare.
Afin de faire évoluer le débat dans le cadre spécifique des relations scientifiques franco-allemandes, le PFR se propose de travailler sur les espaces frontaliers dans une perspective transnationale et pluridisciplinaire lors de rencontres multilatérales assurant la mutualisation de données, l’échange méthodologique et la valorisation de projets de mémoire/de thèse en cours. L’attention portera sur la phase située entre 1500 et 1800, précédant l’affirmation des États nationaux, qui en termes de centralisation de pouvoir, mobilité et pluralisation des formes de vie sociales et religieuses, représente une époque charnière. Dans le cadre de la construction progressive de frontières nationales, on voit naître une Europe des particularismes qui se distingue des grands empires transnationaux des mondes arabe et asiatique. Ainsi, l’objectif scientifique du PFR est de créer un outillage méthodologique pour les études croisées à usage pluridisciplinaire relevant de l’échange entre les disciplines s’intéressant à l’historicité de zones frontalières (histoire moderne, histoire régionale, médiévistique et philologies). La grille d’analyse ainsi constituée permettra une meilleure prise en compte des pratiques sociales et culturelles transfrontalières et s’appliquera à différents cas géographiques.
Les recherches seront centrées autour de deux axes : les agents porteurs de réseaux et leurs stratégies de transfert. Suivant l’approche de l’histoire croisée, les agents humains qui par leurs actes produisent des réseaux sociaux représentent un repère objectif, voire universel avec lequel les deux cultures scientifiques peuvent facilement se familiariser. Or, on constatera une „Logik der Akteure“  comprenant des stratégies de transfert à des fins politiques, diplomatiques, économiques, sociales et/ou religieux qui peut servir comme catégorie d’analyse. Cette perspective permet non seulement d’aller jusqu’au niveau local, mais aussi de s’émanciper de représentations spatiales fixistes et d’une unité culturelle présomptive des soi-disant régions frontalières. À travers le regard décentré, on assura une meilleure prise en compte de dynamiques historiques des espaces frontaliers, négligées par les Border studies.
Dans ce but, le PFR donnera lieu à un colloque international à Erlangen destiné aux jeunes chercheurs (doctorants et postdoc) ainsi qu’à un cycle d’ateliers trilingues, organisé à Nancy et à Coblence, deux villes situées elles-mêmes dans un espace frontalier (« Grande Région ») d’une grande complexité historique. Le cycle se composera de trois ateliers de formation invitant les mastérants et doctorants en histoire et en lettres des deux universités partenaires, comme aussi d’autres universités, à établir un bilan actuel croisé du discours autour de l’historicité des espaces frontaliers, à discuter les perspectives méthodologiques récentes et à présenter les projets en cours. Chaque atelier sera consacré à un sujet précis (voir tableau) et comprendra un élément lecture-discussion, une séquence de présentations de projet, animée par les doctorants adhérant au projet ainsi qu’un élément de pratique qui permettra une initiation au traitement des données archivistiques et une familiarisation avec les représentations à partir du cas de l’espace sarro-lorrain avec trois visites d’archives prévues (BM de Nancy, Landeshauptarchiv Koblenz, AD de la Moselle). Chaque visite aura vocation à approfondir la dimension empirique du débat. Les ateliers accueilleront un groupe choisi de 12 personnes maximum, dont quelques doctorants qui ont déjà souhaité s’associer au projet, avec la volonté d’une participation équilibrée entre Allemands et Français. Afin de favoriser le croisement bilatéral, l’élément lecture-discussion s’effectuera en tandems franco-allemands composés de mastérants sous la tutelle d’un doctorant. Les ateliers se tiendront en français et allemand, voire en anglais.
Enfin, le colloque international à Erlangen invitera les jeunes chercheurs à examiner les différentes formes d’échanges croisés transfrontaliers à partir du cas des agents à l’échelle pan-européenne dans le cadre des périodes et des matières scientifiques déjà énoncées. Le but est de décentrer le regard vers les petits espaces où s’expriment usages locaux et réseaux translocaux (nobles, diplomatiques, religieuses, savants, économiques), tout en élargissant le regard aux frontières de l’Europe orientale. Face aux espaces ‘transnationaux’, à côté des historiens, la compétence des philologues sera absolument incontournable pour comprendre les voies et pratiques de communication. Pour l’encadrement de la discussion, deux conférences de chercheurs confirmés de France et d’Allemagne, spécialistes des espaces frontaliers, sont prévues.
Pour renforcer la visibilité, l’accessibilité et la pérennisation du projet, la création d’un carnet de recherche bilingue, ainsi que la publication (imprimée) des actes du colloque, sont prévues. Le carnet de recherche dont le protocole sera précisé en début du cycle d’ateliers permettra aux mastérants et doctorants de participer pleinement à la documentation du projet, ainsi qu’à améliorer leur capacité de rédaction scientifique dans les deux langues. Centré autour des questions en rapport avec l’historique des espaces frontaliers, il recueillera des esquisses de projet en cours et d’articles thématiques. On travaillera également sur un glossaire bilingue autour des espaces frontaliers appuyant les réseaux de noblesses. Le carnet permettra également la mise en ligne de la grille d’analyse à usage pluridisciplinaire élaborée par les organisateurs du PFR et discutée lors des ateliers. En effet, ce PFR vise à initier une coopération à long terme, favorisant de réels échanges franco-allemands et interdisciplinaires dans un projet de plus grande ampleur.

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