Historiographie et constructions mémorielles

 

Longtemps conçue sous l’angle d’inventaires statiques (un auteur, une œuvre, des « courants » représentatifs d’une « époque »), l’historiographie prête aujourd’hui la plus grande attention aux contextes et aux stratégies de toutes natures, qui ont volontairement ou inconsciemment présidé à l’élaboration, à la diffusion et à la réception du discours historique écrit. Cette position épistémologique prédispose naturellement les historiens engagés dans ce type d'études au dialogue trans-chronologique et à l’interdisciplinarité qui contribuent à éclairer les mécanismes des constructions mémorielles et identitaires. Les enquêtes et synthèse seront menées sur trois échelles, européenne, française, lorraine. À l’échelle européenne, sera lancée une étude des phases de transition que vécut la chronique universelle, genre majeur des XIIe-XIVe s., associé à l'écriture monastique, soucieuse de déployer l'histoire sotériologique de l'Humanité. Son prolongement dans de nombreux pays d'Europe à l'aube de la modernité marquée par l’humanisme et l'imprimerie, a suscité en revanche peu d'études. Les années 1680-1730 constitue une seconde période de transition entre les histoires universelles de la première modernité et les histoires universelles des Lumières.

Pourquoi et comment ce genre historiographique fut-il utilisé hors de son milieu d'origine, pour relire le passé et y construire des identités multi-scalaires ? Cette problématique de la transition sera abordée dans deux opérations : l'édition critique ("papier" ou électronique) de l’Abrégé d’histoire universelle du comte Henri de Boulainvilliers, œuvre au rôle décisif dans ce contexte historiographique (Diego Venturino) ; un colloque "Chroniques universelles, histoire universelle : un genre en transition (XIVe-XVIIIe s.)" en 2018 ou 2019 (Isabelle Guyot-Bachy, Diego Venturino). À l’échelle d’un pays (la France), Isabelle Guyot-Bachy, s’appuyant sur les travaux initiés par Bernard Guenée et poursuivis par ses disciples, souhaiterait exposer dans une synthèse-manuel (Culture historique et écriture de l'histoire dans la France médiévale), les conditions humaines, institutionnelles et matérielles de l'écriture de l'histoire dans la France médiévale, et les facteurs favorisant ou freinant la circulation, la diffusion et la transmission des textes à l'intérieur d'un royaume, véritable "mosaïque d'identités particulières" mais dont les élites s'ouvraient toujours plus à la culture historique. Enfin, le cadre régional se prête à diverses actions. Certaines sont ponctuelles : notice scientifique pour un manuscrit particulier dans le cadre d'une opération de valorisation (mise en ligne sur le site de la BM de Nancy du ms. 194, Isabelle Guyot-Bachy en collaboration avec Sylvain Samyn, doctorant à l'ATILF) ; édition pour la Société d'Histoire de France d'une importante œuvre messine médiévale : la Chronique du curé de Saint-Eucaire (Mireille Chazan). Des projets de plus longue durée s'engageront dans le prolongement de ces opérations ponctuelles ou ouvriront de nouveaux chantiers. Ainsi, une étude sur les écritures de l'histoire en milieu urbain est-elle envisagée pour la période moderne (Stefano Simiz). Par ailleurs,  dès la première modernité et dans cette longue période où le destin du duché se joua entre autonomie et rattachement, on assista à plusieurs tentatives pour établir une histoire continue de la principauté depuis ses origines (Champier, Mussey, Wassebourg, Benoît Picard, Hugo, Dom Calmet...). Le traitement du Moyen Âge y était un enjeu considérable de construction mémorielle. Médiévistes et modernistes examineront à nouveaux frais ces œuvres conçues et réalisées entre humanisme et approche « pré-critique », entre engagement religieux et contribution à une histoire dynastique, et poseront la question de l'intégration de leurs auteurs aux réseaux savants européens.

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